Actualité – Décembre 2025 / Sylvie Reignier

AMENDEMENT 159 CONTRE L’APPROCHE PSYCHANALYTIQUE ET PROPOSITION DE LOI 2586 – CONTINUONS À REFUSER D’ÊTRE LE BOUC ÉMISSAIRE DE LA DÉGRADATION DU SOIN PSYCHIQUE 
 
Avec de nombreux collègues, nous avons été scandalisés par la légèreté et l’hostilité sans fard qui ont conduit à la rédaction du pénible amendement – aujourd’hui retiré- réglant son compte à la psychanalyse, dans l’urgence de trouver n’importe où, et par n’importe quel moyen des sources de réduction des dépenses de la Sécurité sociale. Bruno Falissard (*), psychiatre et scientifique dont le travail est reconnu dans la communauté du soin psychique, posait la question dans un communiqué récent : »Pourquoi ce besoin d’ériger un ennemi intérieur dans le champ de la santé mentale, comme si la difficulté du système se résumait à la présence de psychanalystes remboursés ?  » .
Peut-être pouvons-nous avancer des éléments de réponse ? 
Le premier est que certains, dans les pouvoirs publics, ont tout intérêt à faire  désigner un coupable, pour détourner l’attention  du manque d’empathie croissant dont ils font preuve à l’égard des personnes qui ont besoin de soins psychiques : en favorisant la casse des centres de soin pour en faire des centres de diagnostics, en établissant des PCO (plates-formes de coordination et d’orientation) qui diluent la prise en charge diagnostique, raccourcissent dramatiquement la durée des soins, et la capacité des professionnels de réfléchir en équipe sur les adaptations aux besoins des patients ; en diminuant dramatiquement le nombre de lits d’hospitalisation pour les jeunes et les adultes en crise ; en supprimant leur agrément à des établissements où la psychiatrie institutionnelle a pu, depuis 80 ans, déployer son savoir-faire pour ramener les malades mentaux vers une réalité vivable….
Le second est évidemment la singularité de la discipline psychanalytique, qui fait, du clinicien qui s’y réfère, un adversaire tout désigné : ce dernier ne s’arrête pas à « l’évidence » des symptômes, même s’il travaille beaucoup d’une part à digérer celle-ci en son for intérieur pour faire des liens avec d’autres « preuves » que le sujet donne à voir de lui-même, et d’autre part à questionner ce qu’elle peut chercher à taire ou évacuer d’une douleur inconsciente trop lourde. Notre pratique s’éloigne de nombreuses consultations actuelles, qui en un questionnaire, et parfois même sans voir le patient, peuvent décider d’un diagnostic psychique standardisé à partir de données exclusivement comportementales, ou qui annoncent le règlement des symptômes en quelques séances, promesse séduisante pour un public de plus en plus large.
Cette singularité implique une temporalité souvent nécessaire pour poser un diagnostic, ou proposer au patient une compréhension et un plan d’action. Souvent, cela soulage celui-ci, car on évite de l’accabler d’un diagnostic qu’il ne demande pas toujours.  Mais au temps du « clic » et de la 5G, elle peut être vécue comme une scandaleuse lenteur, à dire et à soulager. Nous le vivons régulièrement avec des familles anxieuses et désorientées devant les troubles psychiques de leur enfant, qui voudraient un soin immédiat et rapide, à présent qu’enfin elles ont un praticien en face d’elles. Il nous appartient de plus en plus d’expliquer que cette temporalité est à leur service, qui vise à les comprendre au mieux et au plus vite, afin qu’avec ces échanges, s’engage la recherche d’un traitement le plus ajusté aux besoins de l’enfant, l’adolescent, ou toute la famille. Et plus encore, nous essayons, dès les premières rencontres, de faire de la relation un soin qui accueille l’angoisse, redonne de l’espoir, et remet en mouvement les dynamiques psychiques. De ce point de vue, notre modèle s’éloigne encore d’un certain modèle médical actuel que l’on cherche à nous imposer, et qui clive le diagnostic et le soin de façon parfois inhumaine. Une fois le traitement engagé (et bien sûr les soins peuvent être très variés et complémentaires), il arrive que les résultats ne soient pas immédiats ; il faut pouvoir expliquer que le patient a parfois besoin de temps pour tourner vers son psychothérapeute le cœur de sa problématique, ce qui n’empêche pas que des mouvements se préparent, dont on verra les effets plus tard.
L’approche psychanalytique répond au besoin profond de très nombreuses personnes de vivre une relation authentique dans laquelle le patient n’est pas clivé, entre son “cerveau” et sa psyché, ou d’un assemblage de comportements à éduquer, mais où il est considéré comme une personne qui s’adresse à une autre. Cependant, bien qu’elle nécessite chez le praticien beaucoup de modestie et d’esprit de recherche, l’écoute de l’inconscient qui l’accompagne comporte toujours le risque pour le patient de se croire dévoilé, bien au-delà de ce qu’il aura souhaité montrer, ou bien assigné par l’autre dans une position de faute ou de culpabilité intolérables. Nous connaissons tous ces aléas du transfert, et savons que de nos jours, reconnaître une culpabilité persécute beaucoup plus que cela ne soulage. Il nous appartient là encore, dans notre société de plus en plus centrée sur le manifeste et l’explicite, de nous adapter à cet état de choses : avoir un langage simple et non saturé de termes qui peuvent être pris pour du jargon, ou bien expliquer ces termes quand on en fait usage. Parfois même, notre langage doit pouvoir s’articuler avec un diagnostic neuropsychologique posé au préalable et tenir compte du fonctionnement du cerveau, de son déterminisme dans nos émotions et comportements, ainsi que de l’héritage génétique. L’approche de la plupart des psychanalystes actuels est ouverte à une prise en considération des difficultés organiques ou génétiques, mais aussi sociales, avec lesquelles s’est construit un sujet. De ce point de vue, il est aussi important de résister aux clivages que certains sectateurs du neurodéveloppement cherchent à augmenter sans cesse, alors que les patients et leurs familles ont le plus grand besoin d’une complémentarité respectueuse des approches de soutien, d’éducation, et de prise en charge des angoisses. Mais en complémentarité avec ce qu’autrefois on appelait « l’équipement », pouvons-nous évoquer la mémoire des expériences infantiles, et la force de l’imaginaire issue de la capacité de chacun, depuis la naissance, à attribuer un sens à ses vécus ; enfin nous devons aussi pouvoir défendre tranquillement la part extraordinaire d’inconnu que chacun porte en soi, en tant que parent, ou enfant.
Des développements ultérieurs très inquiétants se préparent au Parlement, il nous faut rester mobilisés et ne pas cesser de rappeler la spécificité et la valeur de la psychanalyse dans l’accueil des patients de tous âges, et l’aide qui leur est apportée, dès le début de la démarche diagnostique. L’amendement 159 a été retiré, mais la menace plane toujours ; et la psychanalyse -c’est une nécessité éthique- doit continuer à être défendue avec assurance, car elle a fait ses preuves dans un très vaste champ de pathologies. Nous renvoyons sur ce point le lecteur vers quelques « publications et vidéos ».
 
Sylvie REIGNIER, présidente de la SEPEA 
 
(*) textes et vidéo en lien avec cette rubrique :
 
– Anne BRUN L’évaluation des psychothérapies psychanalytiques comme atout pour les cliniciens par
https://shs.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2025-1-page-26?lang=fr
– Communiqué de presse de Pr Bruno FALISSARD, Président de la SFPEADA : https://www.caducee.net/upld/2025/11/1763742718380.pdf
– Thomas RABEYRON L’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques et de la psychanalyse
https://hal.science/hal-03066492v1/file/S0014385520301110.pdf
 
Conférence Thomas RABEYRON – L’évaluation et l’efficacité des psychothérapies psychanalytiques
https://www.youtube.com/watch?v=EEyuIuTHsMk
 
Ou :
 https://clinap.fr/replay-webinaire/janvier-2024-thomas-rabeyron/

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