Oedipe hier et aujourd’hui – Partie 1

Œdipe hier et aujourd’hui

Partie 1 : L’organisation de l’Œdipe hier et aujourd’hui

Julie Augoyard, Florence Guignard.

2 après-midis théoriques, les 18 janvier et 11 octobre 2025

La psychanalyse se situe au carrefour de la biologie – avec la description du devenir des pulsions issues de l’instinct de vie –, de la psychologie – avec l’étude des émotions et de la pensée individuelle, et de la culture – avec l’étude du tissu socio-culturel dans lequel un sujet naît, se développe, puis va jouer un rôle qui varie selon la place qu’il y tiendra.

C’est en ce lieu crucial des sciences humaines que Freud a installé le modèle métapsychologique du complexe d’Œdipe (Freud 1910[1]) comme étant la structure anthropologique de base qui organise le destin des pulsions et le devenir de toute personne humaine, au travers de ses relations, de ses identifications et de sa capacité de penser. Basée sur l’observation du développement du petit garçon, sa description décrit un développement en deux temps de la sexualité infantile, deux temps séparés par une période dite de latence.

L’installation progressive du refoulement et son activité importante au cours de la période de latence permettrait la désexualisation de l’investissement des objets de désir œdipien. L’avènement de la puberté favoriserait l’accroissement des identifications introjectives, conduisant à transformer le Surmoi primitif en Surmoi protecteur, et le Moi idéal narcissique en Idéal du Moi cultivé. Relai identificatoire à des parents garants de la suprématie du principe de réalité sur le principe de plaisir/déplaisir, la double reconnaissance de la différence des sexes et des générations constitue le repère de l’organisation psychique en devenir.

Mélanie Klein a apporté des éléments essentiels à la problématique de l’Œdipe (1928[2], 1945[3]), notamment en observant une configuration œdipienne beaucoup plus précoce, qu’elle situe à l’issue de la « phase féminine primaire » survenant au milieu de la première année de vie.

Un siècle plus tard, qu’en est-il de cette structure, dans une société occidentale bouleversée quant à ses modes de fonctionnement, la gestion de leurs pulsions par les individus qui la composent, et le rapport de ceux-ci aux deux principes de base du fonctionnement psychique : plaisir/déplaisir d’une part, réalité d’autre part ?

L’expérience clinique des praticiens de la psychanalyse avec l’enfant et l’adolescent montre que, si les éléments décrits comme « œdipiens » par Freud et Klein continuent à être observés chez les enfants et les adolescents d’aujourd’hui, on n’observe plus, chez beaucoup d’entre eux, l’organisation de ces éléments en tant que structure anthropologique constitutive d’un complexe d’Œdipe, notamment en ce qui concerne les processus de deuil des objets œdipiens, l’interdit de l’inceste, la construction d’identifications structurantes aux objets œdipiens et la constitution d’un Surmoi protecteur et d’un Idéal du Moi en lieu et place du Moi-Idéal auto-narcissique de la première enfance.

Ces praticiens ont de plus en plus affaire à une « pathologie des limites » : limites entre soi et autrui, entre penser et agir, entre la réalité psychique et la réalité extérieure, entre le virtuel et le réel. Fragiles, mal organisées, celles-ci se désintègrent d’autant plus facilement que les limites de la société environnante se sont elles-mêmes assouplies, fragilisées, désorganisées. Dès 2006[4], on a observé la disparition croissante d’une période de latence bien structurée, questionnant le devenir du processus d’après-coup, tellement essentiel à l’organisation du développement psychique. Les syndromes dits de TDAH (troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité) constituent l’une des pathologies majeures de ce processus d’après-coup[5].

Nous aborderons notamment :

– le problème du roc d’origine – le refus du féminin dans les deux sexes.

– le problème de la nature et du devenir des pulsions – pour Freud, la libido est d’essence mâle ; y a-t-il une pulsion d’essence femelle, et si oui, peut-on distinguer l’une de l’autre l’économie pulsionnelle femelle et l’économie pulsionnelle maternelle ?

– les relations de la problématique œdipienne avec, d’une part, le développement des pulsions du Moi et de la capacité de penser, et d’autre part, la mentalité collective et l’utilisation abusive de l’intelligence artificielle.

[1] Freud S. 1910 « Cinq leçons sur la psychanalyse », 3^e leçon, De la Psychanalyse, OCF X, Paris, P.U.F. 1993.

[2] Klein M. 1928 Les stades précoces du conflit œdipien, Essais de psychanalyse, Paris Payot 1967 p. 229-241.

[3] Klein M. 1945 Le complexe d’Œdipe éclairé par les angoisses précoces Essais de psychanalyse Payot 1967 p. 370-424.

[4] Guignard F. 2006 « Mais où sont les neiges d’antan ? » Rev. Franç. Psychanal., 2006/5, numéro spécial Congrès, p. 267-273, Paris, PUF.

[5] Guignard F. 2022 Trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et déni de la réalité : le massacre expérimental de la mémoire implicite et de l’attention perceptive innée, in : Temps et rythmes en périnatalité, Dir. M. Dugnat, N. Dugnat-Collomb, F. Poinso, Toulouse, érès, p. 101-108.